Être conservateur de la Maison de Victor Hugo ne prédispose par à s’occuper d’Art Brut, mais la passion s’en arrange très bien ! L’exposition « Entrée des médiums », en 2012, avait déjà noué un premier lien.
Pour répondre à l’invitation de l’Outsider Art Fair, j’ai souhaité proposer un parcours personnel, en une sorte de jeu de dominos, reliant deux autoportraits névrotiques, de deux artistes liés à Victor Hugo : son neveu Léopold (1828–1895) et François Chifflart (1825–1901), le premier artiste dilettante et scientifique délirant, le second Prix de Rome mais looser caractériel… Léopold par son image en pharaon posé sur piédouche, comme une pièce de jeu d’échec, donne le thème de portrait-objet ; Chifflart celui de l’autoportrait collectif, entouré de ses névroses comme d’autant de figures de cauchemar.
Deux autoportraits « borderline » qui nous font passer la frontière entre art officiel et Art brut « avant l’heure ». Allant de l’un à l’autre, une chaine de portraits de groupe hallucinés, d’autres de figures objets, oeuvres d’artistes d’Art brut « patentés », de Fernand Desmoulin, F. Sedlàk, Helen Buttler Wells, Josepha Tolra, Edmund Monsiel, à Hugo d’Alesi, Emile Hodinos, Camille Renault, Hans Hoffer. Façon de passer la frontière, mais en double sens, mais avec de multiples croisements : d’artistes académiques à autodidactes, de bourgeois à modestes, de rapins à médiums… Sous ce dénominateur commun du trouble ou de la névrose peut-être se dessineront les contours de ce que j’avais déjà appelé « la démocratie du merveilleux ».
Mais un tel alignement de doubles-six se joue mieux à deux, en allant piocher chez un complice. Au-delàde tout discours et de toute justification, ce parcours est un hommage amical à Bruno Decharme dont la générosité avec laquelle il fait partager sa collection – la collection Abcd Art brut – ne se dément pas. Au moment où il annonce le projet de dépôt de la collection, à Hauterives, chez le Facteur Cheval, c’est aussi une manière de lui adresser des voeux de succès…
Gérard Audinet